Vie déprivée

L’affaire
Griveaux - appelons-la ainsi – a donné lieu à des flots de commentaires et
d’interprétations dont la pertinence, nous semble-t-il, est le plus souvent inversement proportionnelle
à leur nombre.
De quoi s’agit-il ? Un homme politique, très imprudent,
prend le risque de voir son image et son statut abîmés en partageant des
images/vidéos intimes. Il n’y a là rien
de bien nouveau, sexe et politique ont toujours alimenté les chroniques
journalistiques, si ce n’est que le
contenu compromettant aurait pris la forme d’enregistrements audio il y’a
quelques années, et d’échanges épistolaires si on remontait encore plus loin. Aussi
Internet ou les réseaux sociaux n’ont pas de rôle original dans cette affaire.
La diffusion du contenu a peut-être été particulièrement rapide à l’ère
d’internet mais il aurait connu le même retentissement si un média traditionnel
(presse
écrite ou audiovisuelle) en avait assuré de façon plus habituelle la publicité.
Ainsi, dans le cas qui nous intéresse, pas de tweet anonyme ou de
« pornleak » mais l’action revendiquée de l’activiste russe Piotr Pavlenski.
L’affaire est donc banale. Ce qui l’est moins ce sont ses
conséquences et ce qu’elles disent de notre société.
Tout d’abord Benjamin Griveaux a renoncé à se présenter à la
Mairie de Paris ; il l’a fait immédiatement, avec une rapidité pour le
moins étonnante. On peut penser que
Griveaux savait qu’il n’avait aucune chance de remporter la Mairie de Paris, et
dans ces conditions il était effectivement préférable pour lui de s’épargner
une campagne qui aurait été très pénible. On a donc un candidat qui se désiste,
en raison d’un comportement privé , dont certains pourraient juger qu’il est
inapproprié, mais qui en aucun cas n’est illégal – en tout cas sur la base des
informations disponibles à ce jour.
On peut trouver cette évolution de notre vie politique très
inquiétante et ce d’autant plus, que dans le même temps, des personnalités
politiques mises en examen – c’est à dire pour lesquelles « il existe des indices graves ou concordants rendant
vraisemblable qu'elle ait pu participer, comme auteur ou complice, à la
commission d'une infraction (article 80-1 du code
de procédure pénale) », elles, restent en poste. On peut penser à Richard
Ferrand ou encore à François
Bayrou. Ainsi il vaut mieux être fortement soupçonné d’une infraction ou
d’un délit que d’avoir des pratiques intimes « originales ». Etrange
jugement sur les mœurs de notre classe politique, ou bien alors étrange
appréciation de la classe politique sur ce qui est vraiment problématique dans
ses comportements…
L’autre dimension de cette affaire est de raviver le débat
entre ce qui relève du privé et du public. A une époque de surexposition
médiatique cela peut être un sujet
complexe. En ce qui concerne les hommes politiques ils sont d’une certaine
façon coupables de cette surexposition puisqu’ils sont les premiers à mettre en scène leur vie
privée. Comme le dit l’historien
Christian Delporte « Ce sont les
hommes politiques qui ont ouvert la boîte de Pandore car, surtout à partir des
années 80, ils se sont mis à systématiquement exploiter leur vie privée à
des fins de communication ». C’est d’ailleurs cet argument qui est
utilisé par Pavlenski pour justifier son action : Griveaux a mis en scène
sa vie privée, or il cachait ce qu’elle était réellement. Evidemment
au-delà des hommes politiques le système
médiatique dans sa globalité, en incluant les réseaux sociaux, alimente cette
recherche de l’intime, mais la classe politique s’y prête avec complaisance et
elle est celle qui produit la matière première de ce spectacle . Elle s’y prête
car elle pense qu’en se dévoilant elle sera plus proche des « gens »,
et donc plus apte à les séduire. Ce calcul ne peut que se retourner contre elle, car entre l’image projetée – lisse,
souriante, parfaite – et la réalité – heurtée, changeante, imparfaite – il
y’aura toujours un décalage, comme pour tous les êtres humains ! Et ce
décalage qui pouvait rester invisible, ne peut effectivement plus l’être à
l’ère de la communication numérique et des smartphones.
La question ici n’est
donc pas celle de la vie privée mais d’une mise en scène, par définition
artificielle, et potentiellement mensongère, de cette vie privée.
La vraie leçon qu’on pourrait donc tirer de l’affaire
Griveaux, c’est que les hommes et les femmes politiques gagneraient à moins
nous exposer leur vie privée (idyllique
et rêvée) et à plus s’occuper des sujets pour lesquels ils ont un mandat.
Dès lors leur vie privée, et cela ferait du bien à tout le monde, resterait
privée.
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