Le Super Bowl ou le symbole d’une société déboussolée

Super Bowl 2023 : le record de téléspectateurs va-t-il être battu ? | CNEWS

 

25-12. C’est le score du dernier Super Bowl du 11 février dernier qui a vu les Kansas Chief, emmené par leur joueur phare Patrick Mahomes, remporter la partie et donc le titre de champion NFL  -championnat de football américain - contre les San Francisco 49ers. Mais au-delà de l’aspect sportif, le Super Bowl et singulièrement cette édition, est l’expression fascinante et troublante des contradictions de plus en plus intenables dans lesquelles se débat la société américaine, et au delà une bonne partie des sociétés occidentales.

Tout d’abord le match avait lieu à Las Vegas. Ville de tous les excès et de toutes les démesures. Une ville de 2 millions d’habitants, bâtie au milieu du désert, sorte de parc d’attractions géant pour adultes qui attire 40 millions de touristes par an. Mais l’envers du décor ce sont des milliers de sans-abri, qui vivent parfois dans les égouts. Des problèmes d’approvisionnement en eau de plus en plus graves. Des activités de jeu qui servent de circuit de blanchiment pour l’argent sale. Et malgré cela la ville semble continuer dans sa fuite en avant, inaugurant The Sphere en 2023, salle de spectacle futuriste comme symbole ultime d’un divertissement high tech à l’impact environnemental délirant, ou en accueillant un grand prix de F1 pour la première fois en novembre dernier.

Cette édition de Las Vegas a été par ailleurs la plus regardée de l’histoire avec 123 millions de téléspectateurs, confirmant qu’il s’agit de très loin l’évènement sportif le plus populaire aux Etats-Unis et un élément apparemment fédérateur dans un pays singulièrement fracturé. Mais pendant que l’américain moyen regardait le match dans son canapé ou autour de son barbecue, les 60 000  happy few présents au stade avaient dû débourser en moyenne 8000 dollars pour une place (largement plus d’un mois de salaire moyen aux USA) ! et certains packages étaient vendus à plus de 60 000 dollars. Les ultra VIP étaient d’ailleurs régulièrement mis en avant par la réalisation télévisée dans leurs loges à la vue imprenable sur la pelouse et l’actrice Blake Lively, une des personnalités les plus filmées lors du match, arborait ostensiblement pour un demi-million de dollars de bijoux. Panem and circenses pour tous donc mais pas avec les mêmes moyens. Illusion d’un vivre ensemble. 

Une des raisons du succès de cette édition était aussi liée au feuilleton Taylor Swift. La chanteuse de 34 ans, personnalité de l’année pour Time et icône de l’Amérique, est en couple avec Travis Kelce un des joueurs vedettes des Kansas Chiefs et leur idylle fait les gros titres. Ainsi la question qui a mobilisé tous les médias pendant les jours précédant le match était la suivante : Taylor serait elle présente pour encourager son chéri ? En effet la veille du Super Bowl, Taylor était au Japon pour un concert de son Eras Tour. Pourrait-elle sauter prestement dans son jet pour être présente au match ? Pourrait-elle défier le temps et l’espace ? Suspense insoutenable…mais happy end car Taylor Swift était bien là.  Ce déplacement express depuis le pays du soleil levant - la chanteuse est retournée en Australie entre temps -  a été fortement critiqué par certains « activistes » du climat en raison de son coût carbone très élevé ; et cette polémique a mis en évidence que Taylor Swift est sans doute un des humains au pire bilan carbone, et ce sans parler de l’impact de ses tournées. Avec 170 voyages en jet entre le 1er janvier et le 29 juillet 2023, la chanteuse aurait émis 8293,54 tonnes de carbone, soit 500 fois plus qu’un américain lambda en an ou encore 1000 fois plus que les émissions moyennes annuelles d'un seul français, selon l’agence Yard spécialisée en marketing durable. Mais ne doutons pas que parmi les dizaines de millions de fans de Taylor Swift - elle a 281 millions de followers sur Instagram - désignés comme les « swifties », ils sont très nombreux, notamment parmi les plus jeunes, à être sensibles à la question du chaos climatique et à inciter leurs proches au quotidien à être plus sobres. Mais l’icône, en revanche, est intouchable et rien ne lui sera reproché par ses admirateurs. Incohérence quand tu nous tiens !

Enfin comme pour ajouter une touche de tragique à l’événement, lors de la parade de la victoire des Kansas Chiefs trois jours après le match une fusillade éclatait faisant un mort et de nombreux blessés et provoquant la stupeur et la tristesse. Les auteurs de la fusillade seraient des adolescents, et comme pour chaque drame de ce type, c’est à dire plusieurs fois par an, la question de la circulation des armes à feu aux Etats-Unis (re)surgit. Tout le monde sait qu’un contrôle plus strict des armes éviterait des milliers de victimes chaque année, mais une lecture fétichiste d’un texte écrit il y a plus de 200 ans – la Déclaration des Droits de 1791, qui autorise les  citoyens américains à « porter et détenir des armes »  - et des intérêts économiques et/ou électoraux qui priment sur toute autre considération, empêchent de faire évoluer la loi.  Alors les lamentations et les appels à la prière continuent mais sans que rien ne change. Là encore on a à faire à une société devenue quasiment schizophrène.

Le Super Bowl, au delà du 25-12 du match, c’est donc tout cela, un pays qui ne sait plus comment faire avec ses impasses et ses contradictions. Et qui, rappelons le, votera pour élire son président en novembre 2024.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Quand le bonheur des salariés fait le profit des entreprises (1/2)

Et si on vendait Air France à ses pilotes ?

Le vrai faux problème de la dette publique