Le « macronisme » ou la tentation permanente de la transgression

 


Depuis l’accession au pouvoir d’Emmanuel Macron en 2017 une question récurrente qui est posée aux analystes politiques est celle de la définition du « macronisme ». En filigrane ce qui est en jeu c’est la possibilité pour le « macronisme » de survivre à la fin du second mandat de Président de la République.

Il nous semble qu’une définition assez simple du « macronisme » peut être trouvée mais intègre une composante que les commentateurs rechignent à mettre en avant : la dimension personnelle, intime, de l’équation politique proposée. Pour nous le « macronisme » » peut être défini comme une doctrine politique d’inspiration libérale sur le plan économique, europhile, et opportuniste sur les questions sociétales, dont la pratique est fortement impactée par la personnalité du Président. Dit autrement le « macronisme » c’est l’UDF plus Emmanuel Macron.

Dès lors c’est bien la pratique du pouvoir et la personnalité du chef de l’Etat qui crée une interrogation par rapport à ce que serait une politique classique de centre doit. Quel est alors le ressort intime de cette personnalité ? Quelle est la dimension psychologique qui peut guider des décisions et des actes ?

En 2021 dans leur livre le « Traître et le Néant » les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme proposaient une grille de lecture mettant au centre la notion de trahison, or il nous semble que la trahison n’est que la conséquence d’un trait psychologique plus large et plus significatif : la transgression, qu’il faut entendre ici par un écart important à la norme. En ce sens la transgression peut rester dans le cadre de la loi mais elle défie les attentes et les habitudes et crée une tension chez ceux qui l’éprouvent.

Or il nous semble qu’Emmanuel Macron est mû par une pulsion de transgression et le choix de la dissolution en est le dernier exemple extrême.

Lorsque l’adolescent Emmanuel au début des années 1990 entame une relation avec sa professeure de français Brigitte Trogneux, il transgresse. Il transgresse doublement en ayant une relation avec une femme beaucoup plus âgée que lui, qui est de surcroit sa professeure. Ici il nous faut noter – et cela est fondamental sur le temps long – que cette transgression initiale finira par être idéalisée, perçue comme une victoire sur l’anticonformisme, tant la relation entre Emmanuel et Brigitte Macron a été mise en scène et valorisée.

Lorsque le jeune ministre Emmanuel Macron décide de se présenter en 2016, au mépris des codes habituels de la politique – il est jeune sans expérience d’élu, sans histoire politique – et en trahissant François Hollande – celui qui lui a permis de prendre de l’envergure et de devenir une figure publique, il transgresse. Mais là encore cette transgression n’entraîne pas de conséquence négative, bien au contraire, puisqu’il sera finalement élu.

Lorsque l’affaire Benalla éclate en 2018 et que le Président, contre toutes les évidences défend son chargé de mission il transgresse. Il transgresse à la fois en sortant de son rôle de garant de l’indépendance de la justice et en voulant manifestement protéger un délinquant – Alexandre Benalla a été condamné en appel en septembre 2023 à 3 ans de prison, dont un an ferme. Cette transgression s’exprime sous la forme de la provocation lorsqu’il prononce la fameuse phrase « Qu’ils viennent me chercher ! » lors d’une réunion avec les députés LREM en juillet 2018. Là aussi il n’y aura pas de réelles conséquences pour le Président tant cette affaire se dissipera dans les méandres de la procédure et dans la temporalité longue de la justice.

Lorsqu’ Emmanuel Macron laisse filmer et diffuser des échanges diplomatiques avec Vladimir Poutine au printemps 2022 alors que la guerre en Ukraine va bientôt éclater, il transgresse. Il brise les codes habituels du secret des échanges entre dirigeants en mettant en scène son pouvoir et son rôle. Et, si les diplomates de métier ou ses homologues s’étranglent, lui donne l’impression de savourer cet épisode.

Dans ce cadre la dissolution apparaît comme la dernière et sans doute comme la plus radicale des transgressions d’Emmanuel Macron ; elle est un acte rarissime, qui a été discuté uniquement avec quelques proches, non élus – même le Premier Ministre n’était pas dans la confidence !-, décidée en quelques heures dans la journée du 9 juin, annoncée dans des formes inédites – une heure à peine après les résultats des européennes, avec un calendrier incroyablement resserré - , et surtout elle semble échapper à toute analyse rationnelle. D’ailleurs c’est le registre de la pathologie psychique qui a parfois été convoqué – « il est fou » - pour l’expliquer à défaut de la comprendre. Si d’un point de vue formel Emmanuel Macron avait le droit de dissoudre il crée ici une instabilité telle que c’est bien la notion de limite qui est mise à l’épreuve avec comme enjeu l’avenir même du pays. Cette transgression est même un vertige dans la mesure où elle pourrait mener à une situation où Emmanuel Macron n’aurait comme seule issue que de démissionner, et donc de s’autodissoudre. La transgression ultime serait alors de disparaître.

On ne peut pas savoir si une telle issue serait perçue favorablement par l’homme Emmanuel Macron – une nouvelle transgression gagnante en somme – mais elle le serait clairement au prix du chaos pour le pays. Le « macronisme » aura alors été une parenthèse mais une parenthèse terrible.

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