Le vrai faux problème de la dette publique
Alors que la deuxième vague épidémique semble avoir atteint son pic et que les perspectives d’un vaccin contre la Covid-19 semblent se préciser, le débat sur « l’après » et notamment « l’après économique » commence à émerger.
Dans ce contexte on commence à entendre la petite musique du « il va falloir rembourser la dette », ce qui conduirait inévitablement dans l’esprit des promoteurs de la doxa économique à une pression sur les budgets des Etats et donc in fine, car c’est toujours le résultat de ces politiques, à un appauvrissement des populations. En somme, la mise en œuvre du mécanisme habituel décrit pas Naomi Klein dans la « Stratégie du Choc ». Or le remboursement de la dette Covid est un non problème et suppose a contrario un changement de d’approche économique!
Pour aborder ce sujet il nous semble important de donner quelques chiffres.
Le PIB de la France s’est élevé à 2425,7 milliards en 2019. La même année la dette publique au sens de Maastricht (elle couvre l’ensemble des administrations publiques au sens des comptes nationaux : l’État, les organismes divers d’administration centrale (Odac), les administrations publiques locales et les administrations de sécurité sociale) s’élevait à 2380 milliards, soit 98,1% du PIB. La dette de l’Etat seule sur ces 2425 milliards s’élevait à 1911 milliards soit 78,8%.
En 2020 les prévisions d’évolution du PIB convergent vers une baisse de 10% ; en parallèle la dette devrait atteindre 120% du PIB (mais sur une base 2019 apparemment). En valeur absolue le PIB s’établirait autour de 2183 milliards et la dette à plus de 2700 milliards, soit une augmentation de plus de 300 milliards en un an. Il faut en effet bien comprendre que la baisse d’activité diminue fortement les rentrées fiscales et qu’en parallèle l’Etat doit dépenser massivement (chômage partiel, soutien aux entreprises, aides diverses..) pour éviter un cataclysme économique et social. Ce double mouvement creuse à toute vitesse les déficits et contraint l’Etat à emprunter.
En 2021 la situation de la dette ne va pas vraiment s’arranger…Si l’épidémie est vraiment maîtrisée le PIB de devrait croître de 6 à 8%, mais la dette devrait encore augmenter significativement, sachant que le déficit budgétaire devrait être encore supérieur à 150 milliards. En faisant l’hypothèse (conservatrice c’est-à-dire optimiste) d’une augmentation seulement de 150 milliards en 2021 la dette publique aura augmenté de 450 milliards en moins de deux ans, soit environ 300 milliards de plus que sur la trajectoire initiale pré Covid. Mais ici premier bémol important : il convient de noter que la France emprunte actuellement, et heureusement, à des taux très favorables, voire négatifs, et que la charge de la dette – c’est-à-dire ce qui est consacré au remboursement chaque année – n’augmente pas en raison de ces conditions exceptionnelles (on peut notamment refinancer la dette plus ancienne à des taux plus intéressants). La charge de la dette a même baissé de 5 milliards entre 2019 et 2020, et en 2021 elle n’augmenterait que de 600 millions passant de 35,8 milliards à 36,4 milliards. Donc malgré cette hausse très sensible de la dette son poids effectif dans le budget de l’Etat ne va quasiment pas augmenter !
On notera d’ailleurs que depuis des années on nous explique déjà qu’il faut réduire absolument la dette sous peine d’apocalypse (souvenons-nous du « La France est en faillite » de François Fillon en …2007). Or notons que l’apocalypse n’a pas eu lieu malgré la crise de 2008 et les prophéties des économistes de plateau TV.
Evidemment si les taux d’intérêt venaient à augmenter le financement de nouveaux emprunts serait plus problématique mais on parle de futurs emprunts et on pas de ceux réalisés pour surmonter la pandémie.
Par ailleurs il existe une autre solution : désormais la BCE (Banque Centrale Européenne) – via la Banque de France – détient entre 20 et 25% de la dette publique française soit entre 500 et 600 milliards. Concrètement depuis 2015, la BCE a racheté massivement la dette des états européens sur le marché dit secondaire – auprès des banques, des fonds de pension…- dans le cadre d’une politique dite d’ « assouplissement quantitatif ». (« quantitative easing »). Malgré les craintes - car d’une certaine façon cela peut être assimilé à de la création monétaire - cela n’a provoqué aucun regain d’inflation.
La BCE détient donc désormais des milliers de milliards de dettes souveraines. Il faut soit annuler cette dette purement et simplement et il faut bien comprendre que cela ne lésera personne, soit la repousser indéfiniment dans le temps dans une logique de dette perpétuelle. Même un économiste orthodoxe comme Patrick Artus se range à cette solution. Cela permettrait non seulement de soutenir l’économie pendant la période Covid mais aussi de préparer des investissements d’avenir en lien par exemple avec la transition énergétique ou le renforcement de nos systèmes de santé et de soins (nous aurons à affronter, c’est certain, d’autres épidémie de type Covid). En ce sens la crise terrible que nous traversons serait le moyen de lancer une vraie stratégie d’avenir (et non pas une « stratégie du choc »)
Evidemment une telle rupture avec les dogmes actuels suppose un vrai courage politique – au niveau européen - et un changement de paradigme. Cela ne sera pas simple car les « défenseurs » du système vont résister.
Mais ici il faut bien comprendre l’enjeu : si nous ne mettons pas en œuvre ce type de politique nouvelle et audacieuse, les gouvernants continueront à expliquer qu’il faut « réduire la dette » et mettront en place des politiques de régression sociale, dans le droit fil de ce qui a été depuis 30 ans. Baisse réelle des budgets alloués à l’éducation, la recherche, ou encore au système hospitalier ! conduisant à l’accroissement des inégalités et une paupérisation croissante des populations.
Alors non la dette n’est pas un problème, c’est une question de choix politique.
Illustration de Deligne (http://deligne.fr/)
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