« Un coup de dés jamais n’abolira le hasard »

 


C’est en pensant au fameux vers de Mallarmé que la question s’est imposée à moi : peut-on jouer l’avenir d’une nation et de dizaines de millions de personnes au lançant les dés ? A pile ou face ? Si la question paraît saugrenue c’est bien l’impression que donne la décision de dissolution prise par Emmanuel Macron il y a trois semaines. Une décision prise par un seul homme, conseillé apparemment par quelques personnes sans autre légitimité que leur proximité avec les Président, et qui ne semble obéir à aucune rationalité autre que celle d’une forme d’hubris. Et l’avenir de notre pays paraît effectivement bien sombre à l’orée de ce second tour des élections législatives.

De façon troublante au même moment c’est la décision de Joe Biden de se représenter à l’élection présidentielle américaine qui semble relever du saut dans le vide. Joe Biden a bientôt 82 ans, sa santé est manifestement déclinante, et le débat tenu avec Donald Trump la semaine dernière semble indiquer des troubles cognitifs de plus en plus sérieux. Pourtant Biden semble s’entêter à se présenter au risque de détourner les électeurs indécis, sans doute troublés voire rebutés par l’image de ce vieux monsieur au soir de sa vie. En refusant de céder sa place à un autre candidat démocrate Biden prend donc le risque immense de favoriser l’élection de Donald Trump. Là encore c’est la décision d’un seul homme qui va décider potentiellement du sort de toute une nation, et en l’espèce au-delà des Etats-Unis d’une partie du monde.

Ces deux exemples sont extrêmement déconcertants; en effet nous sommes en 2024, dans des démocraties prétendument avancées, dans des sociétés où la délibération collective, la collégialité sont sans cesse mises en avant et valorisées, et pourtant les choix personnels, intimes, d’un unique individu ont des conséquences immenses. Nous restons calés – suspendus pourrait-on dire – sur des modalités de prise de décision qui font plus écho à un régime monarchique de droit divin qu’à celui d’une démocratie mature.

Dans le cas de la dissolution il faudrait à l’évidence un processus obligeant le Président non seulement à prendre formellement l’avis d’un certain nombre de personnalités – Président(e) du Sénat, Président(e) de l’Assemblée Nationale, Premier Ministre, Conseil Constitutionnel… - mais à faire connaître et à se conformer à leur recommandation. On peut penser que dans la situation actuelle avec un tel processus il n’y aurait pas eu de dissolution.

Dans le cas de Joe Biden c’est la question de la santé des dirigeants en démocratie et la transparence due aux citoyens qui est en cause. Dans cet exemple on pourrait considérer qu’au-delà d’un certain âge – et/ou de certains signaux – un ensemble d’examens de santé devrait être effectué et qu’un collège de médecins devrait se prononcer sur la capacité - notamment cognitive - à se présenter à une élection aussi importante. Dans de nombreux pays on trouve normal de faire passer un examen médical pour renouveler son permis de conduire à partir de 65 ou 70 ans (Danemark, Finlande, Espagne) mais bizarrement on pourrait se présenter à la présidence des Etats-Unis à plus de 80 ans et décider du feu nucléaire sans avis médical officiel. De même pour souscrire un prêt pour son logement les compagnies d’assurance demandent des examens poussés – même quand on est jeune – et tout le monde trouve cela normal.

Pour le dire autrement nos démocraties doivent mettre en place des mécanismes qui les protègent contre des décisions qui seraient celles d’un homme ou d’une femme en situation de grand pouvoir, décidant SEUL pour des motifs relevant de l’intérêt ou de convenances personnels – voire dans l’incapacité de décider réellement – et non en fonction de l’intérêt de leur nation. En somme il faut réduire le facteur psychologique des prises de décision à un niveau le plus faible possible. Sauf à le faire nous serons les spectateurs affolés de ces parties de dés où le hasard choisira son camp en ricanant.

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