Dénicratie

Fichier:Urne vote France.svg — Wikipédia

La démocratie –du grec demos, le peuple – est la forme de gouvernement dans laquelle la souveraineté appartient au peuple, c’est à dire que c’est le peuple qui exerce le pouvoir sur un territoire donné. En général, entre autres pour des raisons pratiques, le peuple exerce cette souveraineté à travers des représentants, le plus souvent élus. C’est ce que prévoit d’ailleurs la Constitution française en son article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. ». 

On peut ici se demander quelle est la forme de gouvernement qui serait l’opposé de la démocratie. Il n’y a pas de réponse univoque mais les différentes formes d’autocratie, de la royauté à la dictature, l’aristocratie ou encore la théocratie sont des exemples concrets de gouvernement non démocratiques. Or il nous semble que nos démocraties contemporaines ont sécrété une version particulièrement pernicieuse de « non démocratie » que j’appellerai « dénicratie ». Il s’agit de conserver les apparences de la démocratie, y compris à travers le processus formel des élections, mais in fine de ne pas réellement prendre en compte  l’expression du peuple. Il peut voter, s’exprimer, mais son avis ne sera pas considéré, il sera tout simplement dénié. Dans le contexte français on retiendra quelques exemples frappants en terminant par l’élection de Yaël Braun-Pivet à la présidence de l’Assemblée Nationale.

Commençons en 2005 : le référendum sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe (aussi appelé traité de Rome II ou traité de Rome de 2004) a lieu le 29 mai. La question posée aux  français est « Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une constitution pour l'Europe ? ». Ils répondent Non à 54,68%., comme d’autres pays européens d’ailleurs. Malgré ce Non les dirigeants européens se débrouillent pour signer le Traité de Lisbonne en 2007 qui reprend la majorité des dispositions du Traité de Rome II. En France le Traité de Lisbonne sera ratifié par voie parlementaire, ce qui veut dire que les représentants du peuple ne tiennent pas compte du choix que le dit peuple a exprimé lors du référendum. Premier exemple de déni.

2016 : au printemps des millions de français défilent dans les rues pour s’opposer à la loi Travail ou loi El Khomri qui a été adoptée en utilisant le 49-3 à plusieurs reprises, contre l’avis même d’une partie de la majorité socialiste de Manuel Valls, alors premier ministre. Ils sont 500 000 manifestants le 26 mai, 1,3 million ou encore 200000 le 28 juin (chiffres des syndicats). Mais personne ne les écoutera. Deuxième exemple de déni.

En 2022 et 2023 le gouvernement d’Elisabeth Borne décide de mettre en œuvre une réforme des retraites en reportant l’âge légal de départ à 54 ans. Les Français sont très majoritairement contre ce projet (environ 2/3 des français y sont hostiles selon les sondages)  et des manifestations très importantes ont lieu pendant des mois pour s’y opposer. Plutôt que de retirer son texte le gouvernement décide de passer en force, mais incapable de dégager une majorité à l’Assemblée Nationale il use de différents subterfuges comme l’utilisation de l’article 47.1 pour restreindre les débats et finit par dégainer le 49.3 pour faire adopter le texte. Les français sont contre, l’Assemblée n’a jamais approuvé le texte et pourtant il est voté. Troisième exemple de déni.

2024 : aux élections européennes la liste soutien d’Emmanuel Macron obtient à peine 14,60% des voix, très loin derrière le RN. Quelques semaines plus tard au premier tour des élections législatives la liste Ensemble (majorité présidentielle) obtient 20,04% des suffrages, très loin du RN à plus de 29% et du NFP à 28%. Les français expriment donc de façon très nette un désaveu pour Emmanuel Macron et le parti au pouvoir. Ils veulent clairement changer. Pourtant le 18 juillet en profitant de tractations de coulisse et de la fragmentation à l’Assemblée Nationale, Yaël Braun-Pivet, qui fait partie d’Ensemble pour la République, le parti du Président de la République, est réélue à la tête de l’Assemblée Nationale. Rien ne change. Quatrième exemple de déni.

A travers ces exemples nous voyons le même schéma se répéter : le peuple s’exprime clairement, que ce soit via les urnes ou via des actions sociales, mais on fait comme si cela n’avait aucune importance. On lui dénie la capacité à exercer sa souveraineté. En laissant la « dénicratie » s’installer on ne peut alors que favoriser trois phénomènes délétères pour la démocratie : l’abstention, la violence ou les votes extrêmes. Aussi il serait grand temps d’arrêter d’être dans le déni de la « dénicratie » et de revenir à une conception plus respectueuse de l’expression du peuple.

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