CETA...ssez



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Dans les nombreux articles, commentaires et autres analyses qu’on peut lire sur le traité CETA, ce qui est fascinant c’est qu’à aucun moment n’est évoqué l’enjeu concret de ce traité c’est à dire le commerce. Rappelons tout d’abord que CETA signifie Canada-EU Trade Agreement (en français Accord Économique et Commercial Global (AÉCG) ; il s’agit donc d’un accord  économique portant sur le commerce entre le Canada et l’Union Européenne.
Dès lors il peut être intéressant de comprendre les enjeux concrets en termes de flux et de montants liés au Traité.  Pour cela il suffit de se plonger dans un document accessible  à tous : « les Statistiques du Commerce International », édition 2015, publié par l’OMC.  Pour simplifier : l’UE représente une zone commerciale a minima dix fois plus grande que le Canada, le Canada ne représente que 0,7% des exportations de marchandises de l’UE et 0,6% de ses importations, tandis que l’UE représente 7,3% des exportations  canadiennes et 11% de ses importations.
Ces quelques chiffres simples montrent à quel point l’enjeu de ce Traité est mineur pour l’UE tandis qu’il est significatif pour le Canada.
Même si CETA permettait une progression très forte du commerce avec le Canada pour l’UE, le Canada resterait un partenaire commercial négligeable pour cette dernière (pour rappel la grande majorité du commerce de l’UE – plus de 60% - se fait à l’intérieur de la zone). Pour dire les choses clairement CETA ne permettra en aucun cas une accélération de la croissance en Europe ou une baisse du chômage,  ces arguments sont des escroqueries intellectuelles.

Dès lors on peut faire un double constat : le Canada a beaucoup plus intérêt à la signature de CETA que l’UE et l’UE est en position de force pour négocier eu égard à la taille de son marché et aux gains très faibles que constitueraient la signature du CETA.
Il n’ y a donc aucune incitation pour l’UE à signer un Traité qui ne serait pas conforme à la quasi totalité de ses intérêts, c’est une évidence pour quiconque a eu l’occasion de négocier dans son existence.
Or c’est exactement le contraire qui se produit…on évoquera deux exemples simples.
Le premier est lié à l’ouverture des marchés : alors que 90% des marchés publics européens sont déjà ouverts à la concurrence internationale, le Canada, à la suite de la signature de CETA va passer de 10% à 30%. Pourquoi ne pas exiger une symétrie ?
Le second exemple est lié à l’agriculture : les quotas d’exportation canadiens ont été relevés significativement (X6 pour le porc et le maïs, X7 pour le bœuf, par exemple) alors que l’UE n’a obtenu qu’un relèvement de ses quotas sur le fromage. Étrange...
CETA est donc un marché de dupes pour les européens : ils n’ont pas beaucoup à en attendre, en tout cas des gains totalement marginaux, et ils ont beaucoup à perdre que ce soit commercialement ou à travers l’introduction du fameux mécanisme des tribunaux d’arbitrage, qui permettrait aux entreprises d’attaquer les États lorsqu’elles s’estiment lésées par des évolutions législatives.
On peut alors se demander ce qui peut pousser les dirigeants européens, tant au niveau de la Commission, qu’au niveau des États,  à vouloir signer un tel accord ?
Certains, sans doute aveuglés par l‘idéologie du libre-échange font de ce type d’accord l’alpha et l’oméga de tout politique commerciale, d’autres sans doute ont été sensibles au lobbying exercé par certaines multinationales - l’existence même du mécanisme d’arbitrage , "Mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et Etats » dans CETA est une formidable victoire symbolique pour elles -, enfin à n’en pas douter quelques uns voient dans le CETA la condition indispensable et préalable pour pouvoir faire avaliser TAFTA (accord commercial trans-atlantique ou Trans-Atlantic Free Trade Agreement, aussi connu sous le nom de TTIP, Transatlantic Trade and Investment Partnership ou Partenariat Transatlantique de Commerce et d'Investissement), l’accord similaire entre l’UE et les Etats-Unis, toujours en négociation, aux conséquences autrement plus importantes. Dans tous les cas en langage sportif on appelle cela « jouer contre son camp ».

Nombre de litiges entre États et entreprises par an depuis 1987, et top 10 des pays les plus impliqués  Il n’y a – avait ? – donc strictement aucune urgence pour l’UE à signer CETA, et tout au contraire il faudrait le renégocier dans un sens bien plus favorable aux intérêts de l’Union. Et si ça ne marche pas, tant pis, car les conséquences seront infimes pour l’Europe.
Dans ce dossier tout aura donc été fait à l’envers : négociations opaques, non prise en compte des besoins et des intérêts de l’Union, processus de ratification antidémocratique  - rappelons notamment que CETA va pouvoir entrer en application avant sa ratification définitive en vertu d’une clause « d’application provisoire », et ce sans rentrer dans le détail des dispositions du Traité dont certaines sont très dangereuses.
Il faut donc continuer à s’opposer à la ratification du CETA, revoir de fond en comble les processus de négociation de ce type d’accord et se poser la question dérangeante de la compétence et/ou des objectifs réels des dirigeants européens.

NB J’ai lancé une pétition sur le sujet, que je vous invite à signer.

Source infographie: Nombre de litiges entre États et entreprises par an depuis 1987, et top 10 des pays les plus impliqués ( AFP / Philippe MOUCHE, Jonathan Walter )

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