Start (me) up !
Tout d’abord je tiens à préciser que je voterai pour Emmanuel Macron au second tour ; cela ne sera pas de gaieté de cœur mais je le ferai sans hésitation, car entre sa candidature et celle de Marine Le Pen il y a une différence de nature.
J’ai déjà évoqué sur
Neotopia l’absence de nouveauté de Macron et son inscription dans ce que
j’appelle le sociétal-libéralisme, qui est une orthodoxie économique combinée à
un progressisme sociétal. C’est à dire un programme, pour faire simple, qui
peut séduire ceux qui sont déjà les gagnants de la mondialisation ou qui
pensent pouvoir l’être. Il faut noter ici que Macron a réuni au premier tour à
peine 10% des Français, si on tient compte de l’abstention et des votants en sa
faveur qui disent adhérer
à son programme. C’est un socle extrêmement faible mais qui a suffi dans un
contexte politique particulièrement favorable au fondateur d’En Marche !,
et qui pose avec acuité la question de la politique qui sera menée.
Au delà de son programme – ou de son projet, que je ne trouve
pas séduisant, je me suis demandé par ailleurs ce qui ne me plaisait pas chez
Macron. Il y’ avait quelque chose d’indéfinissable qui allait au delà des
idées, et ce quelque chose était lié à un style, une posture, une façon de
faire. C’est le livre d'Eric Sadin (La
Silicolonisation du Monde, Editions l’Echappée - ouvrage très intéressant qui
évoque la prise de contrôle de nos vies par un hybride du capitalisme et des
intelligences artificielles – néanmoins il faut en noter le côté manichéen qui
en atténue la pertinence) qui m’a mis sur la voie.
Emmanuel Macron, non seulement se veut proche du monde entrepreneurial
et/ou des start-up, et d’ailleurs il était vu comme leur candidat,
mais il conçoit la politique comme une entreprise,
et plus précisément justement comme une start-up. En l’occurrence il s’inscrit
dans un mouvement qui vise à faire l’entreprise la forme ultime – désirable et
nécessaire – d’organisation des groupes et collectivités humaines. Dans ce
paradigme, l’entreprise est parée de toutes les vertus : les décisions qui
s’y élaborent sont rationnelles, le mérite y est reconnu et promu, les
processus sont élaborées avec soin et sont suivis à la lettre, les individus
s’y épanouissent. Donald Trump a
d’ailleurs affirmé haut et fort qu’il entendait gouverner les Etats-Unis comme
une entreprise,
sous-entendant qu’ainsi tout irait mieux – évidemment il ne dit pas pour qui…
Mais ici Trump ne fait lui même que prolonger un mouvement de fond, qui a placé
sur un piédestal cette forme particulière d’organisation et ses modes
de fonctionnement. Certaines méthodes spécifiquement élaborées pour le
monde de l’entreprise ont d’ailleurs été reprises telles quelles par certains gouvernements,
je pense par exemple à la « nudge theory », reprise par le
gouvernement britannique et sa « nudge
unit ».
Le langage politique a aussi été contaminé depuis plusieurs années par
une langue managériale dont Nicolas Sarkozy avait été en son temps un des grands promoteurs ;
acronymes, anglicismes, mots valises en sont les éléments. On parlera de RGPP,
d’indicateurs clés, d’optimisation des ressources et bien sûr de réforme, de la
sacro-sainte réforme, qu’il faudra élaborer avec des cabinets de management.
Quant à lui, Emmanuel Macron adopte comme modèle un type particulier d’entreprise : la start-up. On ne reviendra pas ici dans le détails sur ce qu’est ou peut être une start-up mais on en retiendra quelques caractéristiques : la start-up privilégie la rapidité d’exécution à tout autre critère de fonctionnement, elle doit être flexible y compris en adoptant drastiquement son offre à son marché au cours du temps, la conquête de parts de marchés est privilégiée au détriment de la rentabilité (au moins au début), elle se doit d’être innovante et cette innovation en fait une entité qui ne s’embarrasse pas de l’histoire – de son industrie, de son secteur. En outre elle peut être fortement identifiée à son fondateur. Et finalement elle est désirable car elle fait miroiter la promesse de richesse pour ceux qui en sont membres.
En Marche ! est bien conçu comme une start-up : organisation partie de rien, rapidité extrême d’exécution, adaptation au marché (le programme de Macron a été bâti à partir de milliers d’entretiens) et aux circonstances (gestion des ralliements), logique de parts de marché (on arrive au pouvoir et après on verra avec qui gouverner), financement graduel y compris sous la forme d’un « crowdfunding politique », et figure charismatique du chef et/ou chef d’entreprise. Enfin la récompense pour les membres du mouvement est explicitée à travers une double règle: seuls ceux qui en « sont », et si possible dès le début, se verront offrir postes et honneurs, tandis que les ralliés de la dernière heure ne doivent rien attendre. Ici on se rappellera la désormais fameuse phrase de Emmanuel Macron : « il faut des jeunes Français qui aient envie d’être milliardaires ».
Et si En Marche ! est pensée comme une start-up cela laisse
fortement penser que Emmanuel Macron pense la politique come une start-up,
c’est à dire comme une entreprise.
Or le tableau idyllique de l’entreprise que nous avons
évoqué plus haut est totalement faux – l’entreprise, comme toute collectivité
humaine est aussi un lieu de conflits, d’irrationalité,
de jeux de pouvoir, et parfois de souffrance. Mais surtout les laudateurs de
l’organisation entreprise font l’impasse sur un élément fondamental :
l’entreprise n’est pas au service de la Collectivité, mais au mieux de ceux
qu’on appelle les/ses parties prenantes (salariés, actionnaires, partenaires,
clients) et de plus en plus souvent elle
est au service des seuls actionnaires, avec comme objectif principal et
intangible de dégager du profit. Dès
lors l’entreprise ne peut être un modèle organisationnel – ou à la marge – car elle est subordonnée à des
finalités qui lui sont spécifiques et qui peuvent viser à l’éviction
d’organisations concurrentes. Pour le dire autrement l’entreprise est une
organisation qui sert des intérêts particuliers et sa réussite ultime
correspondrait souvent à la disparition de toute autre structure sur son
marché.
Ainsi concevoir la politique comme une entreprise et a
fortiori une start-up c’est vouloir
utiliser un modèle de gouvernance inapproprié, inadapté. La politique est une
affaire de temps long, d’histoire, de compromis, d’inclusion et non d’éviction,
et surtout elle doit placer au dessus de toute autre considération l’intérêt
général.
Au delà du fond ce qui provoque une gêne chez Emmanuel
Macron c’est l’adoption de ce modèle
d’organisation qui me semble difficilement compatible avec une bonne gestion
publique et la prise en compte d’intérêts multiples et contradictoires. Un Etat
n’est pas une entreprise, un gouvernement n’est pas une start-up.
http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/05/11/comment-en-marche-a-resolu-sa-question-de-fonds_1568975
RépondreSupprimerChem Assayag