Le masque et le marteau


Masque de protection contre le coronavirus : FFP2 ou FFP3 ... 
Avril 2019, France Crise des Gilets Jaunes – interdiction d’être masqué lors des manifestations

La loi n° 2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations [1] a été publiée ce 11 avril au Journal officiel. Validée par la décision n° 2019-780 DC du Conseil constitutionnel du 4 avril 2019 elle instaure un nouveau délit: la dissimulation du visage aux abords d'une manifestation.

Mars 2020, France, crise sanitaire du coronavirus – recherche désespérée de masques

La France commande 1 milliard de masques à la Chine. Annonce faite par le Ministre de la Santé, Olivier Veran le 28 mars.


Il y a parfois des ironies cruelles, ou glaçantes. A moins d’un an d’écart, le même objet a acquis un statut très différent : d’un élément constitutif d’un délit, il est devenu un élément constitutif de survie. Mais au-delà de ce renversement vertigineux il existe un lien profond entre ces deux situations.
La répression musclée des manifestations de Gilets Jaunes s’inscrivait dans le droit fil de l’évolution de nos démocraties, qui sont devenues, comme l’analyse remarquablement Grégoire Chamayou dans son livre « La Société Ingouvernable » (éditions La Fabrique), des démocraties libérales autoritaires.  L’expansion sans fin du libéralisme s’accompagne d’un contrôle renforcé sur les populations – y compris en sortant du champ du politique ce à quoi elles pourraient s’opposer via les processus électoraux, et lorsque le contrôle ne suffit pas la répression devient nécessaire. Evidemment la mise en oeuvre de ce contrôle se fait toujours pour « le bien des citoyens ».
Dans ce contexte les menaces, les peurs, sont les meilleurs arguments pour justifier la limitation de certains droits fondamentaux et créer des conditions économiques moins favorables pour l’immense majorité des populations, comme a pu l’analyser Naomi Klein dans « La Stratégie du Choc ». A cet égard, la menace terroriste, qui apparaissait comme le plus grand danger pour nos sociétés occidentales depuis le début du siècle, a donné lieu à de nombreuses lois, depuis le Patriot Act américain, jusqu’aux lois liées à l’état d’urgence en France, dont certaines dispositions ont été incorporées dans le droit commun dans les dernières années, faisant de l’état d’exception la norme comme a pu le théoriser Giorgio Agamben ! Dans tous les cas il s’agit de restreindre le droit de circulation, les droits de la défense, de permettre à l’autorité administrative de se substituer au juge, ou encore d’encadrer beaucoup plus strictement le droit de manifester.
La gestion de l’épidémie de coronavirus, qui a été présentée en quelques jours comme la plus grande menace pour nos sociétés depuis la seconde  guerre mondiale, ne pouvait que s’inscrire dans cette logique. Dès lors, l’état d’urgence sanitaire mis en place pour lutter contre l’épidémie de Covid-19 semble boucler la boucle y compris dans le vocabulaire utilisé. On y retrouve les mêmes mesures de limitation des libertés comme la liberté d'aller et venir, la liberté d'entreprendre et la liberté de réunion (y compris des mesures d'interdiction de déplacement hors du domicile). Dans la foulée de l’instauration de cet état d’urgence sanitaire, à travers une série d’ordonnances promulguées le 25 mars, le gouvernement prenait des mesures dérogatoires au droit du travail, sur des sujets comme les congés payés ou la durée hebdomadaire du travail, qui peut désormais dans certains cas être étendue à 60 heures. Ces mesures sont applicables jusqu’à la fin de l’année 2020. Elles se veulent donc temporaires mais elles permettent de créer un référentiel beaucoup plus défavorable aux salariés lorsqu’il s’agira de sortir de la crise épidémique.
Ici c’est la fin de la crise sanitaire qui constituera un test inédit de la capacité et de la volonté du gouvernement à renforcer le contrôle sur la société. En effet la crise économique qui est déjà là révèlera encore plus toute sa terrible ampleur lorsque la crise sanitaire sera – je l’espère – terminée. Il sera alors très tentant pour le gouvernement et ses soutiens, cette fois dans une logique de « guerre économique », de « reconstruction », de maintenir ces mesures, censés être dérogatoires initialement. En parallèle et cette fois pour éviter la reprise de l’épidémie on voudra maintenir des mesures de contrôle social, par exemple en instaurant un suivi des personnes contaminées avec des dispositifs électroniques ou en nous obligeant cette fois à porter des masques – renversement vertigineux.
Pour pouvoir perpétuer le modèle libéral en échec – il est aussi (in)directement responsable de cette épidémie - il faudra  contraindre encore plus fort, et surtout faire du temporaire de la coercition le permanent de la vie quotidienne.

Ici une certaine stupeur peut nous saisir, car cette société en gestation, une société libérale économiquement et autoritaire, elle existe déjà : c’est la Chine.
La Chine qui aura su en 30 ans devenir la deuxième puissance économique mondiale, et qui à l’issue de cette crise pourrait contester encore plus directement le leadership américain, nous offre déjà un aperçu saisissant de ce qui pourrait nous attendre. Libéralisme économique organisé par l’Etat – et mis au service de ses protégés -, démocratie de façade – il y a des élections en Chine -, contrôle des populations à grande échelle, en mobilisant notamment les nouvelles technologies, maîtrise de l’information et censure.
La Chine qui, cyniquement, car rappelons qu’elle est à l’origine de cette crise mondiale notamment en cachant sa gravité initiale, se présente désormais en modèle ayant su endiguer l’épidémie et capable d’envoyer ses médecins et ses masques pour aider les pays les plus touchés. Ce scénario, celui de l’émergence d’un modèle chinois au sens de ce que l’on souhaite imiter, de ce qui devient une référence, aurait paru improbable il y a quelques mois encore mais n’est désormais plus seulement un scénario de science fiction mais un futur possible parmi d’autres. Il appartient à nous tous, citoyens de faire en sorte qu’il n’advienne pas, pour que la société de demain ne soit pas celle du masque et du marteau.

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Faucille et marteau — Wikipédia

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