Covid: le tabou des mesures ciblées ?

 


Les pouvoirs publics courent après l’épidémie de la Covid-19 et chaque jour amène son lot d’annonces et de rumeurs sur de futures annonces. A ce stade des confinements locaux ou plus larges semblent inévitables tant le gouvernement semble dépassé. Pourtant une autre approche nous paraît possible.

Ici il faut rappeler que le problème le plus critique de la gestion de cette épidémie est l’incapacité de notre système hospitalier à accueillir toutes les personnes malades de la Covid à l’hôpital et en réanimation, en même temps que les personnes hospitalisées pour d’autres pathologies. C’est en quelque sorte le péché originel de la maîtrise de cette épidémie. Le sous-dimensionnement du système hospitalier français est chronique – notamment en personnel -, suite à des dizaines d’années « d’adaptation » et de maîtrise des coûts, et cela rend impossible une gestion plus « sereine » de la crise. On regardera d’ailleurs avec attention cette vidéo du Pr Mégarbane où il explique que chaque année – sans Covid ! -des transferts de patients d’une région à l’autre doivent avoir lieu pendant la saison hivernale en raison de la pénurie de lits…

Dès lors la stratégie du confinement a pour but de « geler » en quelque sorte la diffusion du virus, permettant d’absorber les malades Covid pendant un certain temps. Mais le virus ne disparaît pas pendant le confinement et sa circulation reprend de façon plus active dès sa fin ; au bout d’un certain temps l’épidémie « redémarre » - ce qu’on voit dans tous les pays européens - conduisant inévitablement à des mesures de restriction, qui, au fil du temps se rapprochent de plus en plus du confinement qui semble être la seule mesure réellement efficace à l’échelle d’une région ou d’un pays. En effet nous voyons bien qu’aucune des décisions prises depuis l’été n’a freiné la progression de l’épidémie : obligation du port du masque en plein air, fermeture des bars et restaurants, mesures de limitation sur les rassemblements, et maintenant couvre feu pour près de deux tiers des français. Quant à ceux qui promeuvent le port du masque en milieu familial (les gens qui habitent ensemble) ils semblent vivre sur une planète différente de celle dans laquelle nous vivons (les gens arrêtent de manger ensemble ? ils ne touchent plus les mêmes objets ? ils ne dorment plus ensemble ?) et c’est donc une mesure totalement irréaliste.

Donc sans changement d’approche rapide un reconfinement générale ou quasi-général est quasiment sûr.

Or le rapport coût/bénéfice du confinement est très incertain, sans parler des questions qu’il soulève en matière de libertés publiques : on lisse la courbe des admissions à l’hôpital et des décès (mais rien ne dit que cela change fondamentalement le nombre de morts provoqués par la pandémie in fine, cela on ne pourra le savoir que dans quelques années*), mais on détruit le système économique, on bouleverse la vie de dizaines de millions de personnes et on assombrit leur avenir, et on crée des dégâts sanitaires très importants. Ces dégâts sanitaires sont à la fois directs (personnes qui ne sont plus soignées, retard de diagnostics, dépressions…), et indirects, en plongeant des centaines de milliers de personnes dans la pauvreté, ce qui on le sait entraînera des baisse d’espérance de vie à terme et l’augmentation de pathologies liées à la précarité économique. Le confinement apparaît dès lors comme une espèce de solution désespérée, dont on connaît les effets positifs à très court terme – sur quelques mois - mais dont on est incapable d’évaluer les effets négatifs à moyen et long terme –sur des années voire plus.

Or nul doute qu’un reconfinement aurait des effets encore plus délétères que le confinement initial puisqu’il interviendrait dans un contexte où l’ensemble de la société est déjà très amoindrie. Mais dans sa course folle derrière le virus le gouvernement ne semble pas imaginer d’autres solutions. Or il y a au moins deux types de mesures, ciblées, qui auraient manifestement un intérêt pour éviter ce reconfinement général.

La première est relativement simple à imposer, c’est une obligation de mise en œuvre du télétravail pour toutes les entreprises qui peuvent l’organiser, et elles sont nombreuses comme l’a montré le premier confinement. Cette mesure a un double effet positif : elle diminue la tension sur les transports publics, notamment en région parisienne, et réduit sensiblement les interactions sociales en journée pour toutes les personnes en télétravail, qui représentaient environ la moitié des personnes qui travaillaient encore pendant le confinement.

La seconde est beaucoup plus sensible mais elle semble pourtant évidente : des restrictions plus fortes doivent être imposées aux personnes à risque par rapport à la population générale. Ces personnes à risque sont clairement identifiées  :

 90.6% des cas de décès Covid concernaient des personnes âgées de 65 ans ou plus,

 L'âge médian des décès est de 84 ans,

 65% des décès sont associés à une comorbidité (une hypertension artérielle dans 24% des cas, une pathologie cardiaque pour 34%).

En creux cela veut dire que moins de 10% des décès concernent les moins de 65 ans, soit 80% de la population. Concrètement cela veut dire aussi que le taux de létalité de virus pour les moins de 65 ans est très inférieur à 0,1% ou 1 pour mille, soit des niveaux comparables à une grippe. Quant à la réanimation les moins de 60 ans représentent 20% des personnes hospitalisées (pour environ 84% de la population).

On peut donc prendre des mesures ciblées en fonction de l’âge combinées à des mesures ciblées pour les personnes présentant des facteurs de risque autres (comorbidités). Comment fait-on ? Soit on impose un confinement strict à ces personnes (avec impossibilité de recevoir du monde), soit on encadre très fortement leurs interactions (obligation de porter le masque pour elles et tous ceux qu’elles rencontrent en toutes circonstances, distanciation physique). Ici il faut noter qu’un confinement général aurait le même résultat pour ces personnes « à risque » en matière de restrictions…mais aussi pour toutes les autres, avec les conséquences catastrophiques déjà évoquées plus haut. On parle souvent de solidarité, ici elle consiste à ne pas imposer à 100% de la population une mesure (le confinement) qui ne fait vraiment sens que pour 20 ou 25% de la population.

En conclusion voilà ce qui nous semblerait pertinent :

  • ré-ouverture le plus rapidement possible de plusieurs milliers de lits de réanimation comme on l’a fait en mars/avril et maintien de ces lits sur la durée,
  • maintien d’un couvre feu mais de façon allégée, de 23H à 6H du matin, ce qui permettrait aux secteurs du spectacle et de la restauration de (sur)vivre,
  • nécessité du port du masque et distanciation physique en intérieur hors du cercle familial, ainsi que maintien des gestes barrière et de l’ensemble des mesures déjà prises pour « contenir » la propagation du virus,
  • obligation de télétravail pour toutes les entreprises en situation de le mettre en œuvre,
  • confinement strict** ou obligation de mesures de précaution spécifiques pour les plus de 65 ans et les personnes présentant des facteurs de risque (cela serait évidemment préférable à un confinement strcit mais comment s'assurer de l'application de ces mesures ?).

En procédant ainsi le pays peut continuer à fonctionner (enseignement, secteur économique), en maintenant la possibilité d’un certain niveau de vie sociale, et en évitant la catastrophe annoncée d’un reconfinement. Mais de telles mesures supposent un vrai courage politique en s’opposant en partie à certaines entreprises et en prenant des décisions difficiles vis à vis d’une population qui vote beaucoup (les plus de 65 ans), en somme elles supposent d’accepter une part d’impopularité.

Nous sommes à la croisée des chemins.

 

* il faudra s’interroger sur les résultats très médiocres de contrôle de l’épidémie dans les principaux pays européens (UK, France, Espagne, Italie) malgré des mesures très strictes. La comparaison est peu flatteuse par rapport aux pays asiatiques, voire à certains pays pourtant beaucoup moins développés. Et les Etats-Unis où la gestion de l’épidémie a été totalement chaotique ont pourtant de résultats équivalents à la Belgique ou l’Espagne.

** l’argument constitutionnel est souvent évoqué pour dire que ce type de mesure est impossible ; pourtant on procède bien à des discriminations sur une base géographique (exemple : couvre-feu) sans aucun problème…

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