L'ère de l'Anthropie


 

Le concept d’entropie  - le mot vient d'un mot grec signifiant « transformation » a été introduit au milieu du 19ème siècle, et vient du monde de la physique, plus précisément de la thermodynamique. Il caractérise le degré de désorganisation, ou d'imprédictibilité, du contenu en information d'un système. Par extension il désigne un système au sein duquel le désordre augmente.

Nous voyons – et avec une acuité particulière cet été – que le système climatique voit son entropie augmenter. Le dérèglement climatique ce sont en effet plus d’évènements extrêmes, imprévisibles, hors normes à l’échelle humaine. Désormais il ne fait aucun doute que ce dérèglement très rapide est le résultat de l’activité humaine, c’est-à-dire qu’il est anthropique. Le premier volet du  6eme rapport du GIEC paru au mois d’août l’affirme avec force (« It is unequivocal that human influence has warmed the atmosphere, ocean and land. Widespread and rapide changes in the atmosphere, ocean, cryosphere and biosphere have occurred.” phrase que l’on peut l’on peut traduire par « On peut dire sans équivoque que l’influence humaine a causé des dommages à l’atmosphère, à l’océan et à la terre. Des changements globaux et rapides dans l’atmosphère, la cryosphère et la biosphère sont intervenus » et plus loin « Human-induced climate change is already affecting many weather and climate extremes in every region across the globe » soit « Les changements climatiques induits par les humains affecte déjà les extrêmes météorologiques et climatiques dans toutes les régions du globe »). En un mot l’entropie climatique actuelle est une Anthropie.

Il faut aussi comprendre que le système climatique a une inertie très forte ; les gaz à effet de serre responsables du réchauffement climatique ne vont pas disparaître du jour au lendemain, par exemple dans le cas du C02 on parle d’une durée de vie dans l’atmosphère de 100 ans. Dès lors, quoi que nous fassions – c’est à dire même si on diminuait drastiquement les activités humaines demain matin – la température moyenne à la surface du globe va continuer à augmenter pendant les 20 prochaines années ! La question dès lors est d’infléchir fortement la trajectoire des émissions pour que l’augmentation de la température reste contenue en dessous de 2° et idéalement en dessous de 1,5°, car au delà de ces chiffres les conséquences pour nos sociétés deviennent quasiment insupportables.

Mais quand on dit diminuer fortement nos émissions concrètement cela veut dire quoi ? Pour limiter le réchauffement à 1,5° à horizon 2050 (on simplifie ici le propos on n’évoquant pas les intervalles de confiance des différents scénarios développés par les scientifiques) « les émissions anthropiques mondiales nettes de CO2 diminuent d’environ 45 % depuis les niveaux de 2010 jusqu’en 2030 (intervalle interquartile : 40-60 %), devenant égales à zéro vers 2050 (intervalle interquartile : 2045-2055) » (extrait du rapport du GIEC « Réchauffement planétaire de 1,5 °C » publié en 2019, page 14). Donc en quarante ans, entre 2010 et 20250, on devrait éliminer toute émission anthropique nette…on comprend ici que le défi est énorme... mais regardons les chiffres plus en détail.

Si on prend le CO2 (principal gaz à effet de serre), le volume émis dans le monde en 2010 était de 40 milliards de tonnes et de 43 milliards de tonnes en 2019 (donc pré-Covid). Un autre mode de calcul (source : Global Carbon project) donnait 33 milliards de tonnes en 2010 et 36,4 milliards en 2019. Les émissions n’ont donc pas baissé sur la décennie mais elles ont augmenté environ de 10% ! Dès lors pour atteindre l’objectif intermédiaire de 2030  évoqué plus haut il va falloir baisser les émissions de plus de 50% en 11 ans, entre 2019 et 20230, au lieu de 45% en 20 ans ! Une baisse de 50% en 11 ans cela veut dire une baisse de plus de 4% chaque année, c’est-à-dire ce qui n’a jamais été réalisé hors période Covid depuis la seconde guerre mondiale, et ce sur la durée, sachant que plus on va avancer plus les baisses vont être compliquées à réaliser ! Autant dire que cet objectif de 2030 paraît totalement hors de portée, surtout quand on lit par exemple les commentaires satisfaits de Bruno le Maire annonçant une trajectoire de croissance de 6% en 2021 pour la France, c’est-à-dire un retour probable aux niveaux de 2019 pour nos émissions. En effet il y’a un couplage très étroit entre la croissance, mesurée par l’augmentation du PIB, et les émissions de gaz à effet de serre, même si la croissance est moins émettrice qu’auparavant dans les pays qui ont entamé une transition énergétique – moins de volume de gaz à effets de serre sont émis par % de croissance du PIB.

Pour le dire autrement une baisse de 4% des émissions globales tous les ans signifierait une contraction gigantesque de l’économie telle qu’elle fonctionne aujourd’hui (et d’ici à 2030 nous n’aurons évidemment pas de solution technologique magique qui va résoudre tous nos problèmes). Des secteurs entiers disparaîtraient ou devraient complètement se réinventer (transport aérien, tourisme, agriculture…) ce en moins de 10 ans, et le capitalisme actuel devrait disparaître tant il est lié au dérèglement climatique. A titre de référence le PIB mondial a baissé de l’ordre de 5% en 2020 pour une baisse des émissions de l’ordre de 7%..  en raison de la crise Covid, ce qui donne une idée de l’ampleur du défi. Nous aurions sans doute pu éviter cette situation dramatique si le rapport Meadows paru en 1972 (« Limits To Growth »,) et qui analysait avec une incroyable justesse ce qui allait se produire, avait été pris réellement au sérieux, mais il ne l’a pas été

Le paradigme économique actuel, qui est celui de l’Anthopie, ne permettra pas d’atteindre les objectifs évoqués par le GIEC (sans parler d’effets de seuils/point de bascule qui pourraient encore accélérer le dérèglement et dont certains sont proches), il faut l’admettre et le comprendre. La catastrophe a déjà eu lieu, pour reprendre l’approche du philosophe Jean Claude Dupuy. Pour ne pas ajouter la catastrophe à la catastrophe il faut donc nous préparer à un monde avec un réchauffement de 2° : penser à la gestion de l’eau à horizon 2030 et au delà, modifier radicalement nos approches de construction – zones constructibles, ventilation des bâtiments…-, anticiper des flux de population…et penser réellement la sortie de l’ère de l’Anthropie.


Commentaires

  1. Sur l'entropie, je pense que c'est plus complexe. Evidemment, on ne peut s'empêcher de comparer le dérèglement climatique à une augmentation d'entropie. La croissance d'entropie se manifeste par une hausse des températures et surtout un accroissement des épisodes extrêmes. Cela rejoint la définition thermodynamique (elle existe aussi en théorie des systèmes d'information) de l'entropie : plus d'agitation moléculaire.
    Mais c'est aussi plus complexe. A vrai dire, je n'ai jamais totalement compris l'entropie car c'est complexe. L'entropie nulle, c'est la non-vie. L'entropie va créer de la vie mais, à mesure que l'entropie du système augmente, la mort se rapproche.
    Par exemple, un feu de bois. Avant de craquer l'allumette, c'est un système mort mais ordonné (les bûches ont une forme particulière). Quand on met le feu, il y a production d'énergie mais aussi, petit à petit, création d'indifférencié : les bûches se transforment en cendre, cendre qui n'a aucun ordre.
    D'ailleurs, c'est un mystère de savoir comment le corps humain surmonte l'entropie plus de 80 ans en moyenne. Certains (donc un prix nobel) parlent de nég-entropie ...

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Quand le bonheur des salariés fait le profit des entreprises (1/2)

Et si on vendait Air France à ses pilotes ?

Le vrai faux problème de la dette publique