Causes et conséquences, ou du dérèglement climatique

 


L’été 2022 aura marqué une accélération notable dans la prise de conscience du dérèglement climatique dans les opinions publiques ; la succession d’évènements jusque-là exceptionnels – épisodes de canicule à répétition, déficit massif en pluviométrie et grande sécheresse, inondations à l’ampleur inédite, feux de forêt dévastateurs…- sur un durée relativement courte semble avoir provoqué un basculement dans la compréhension de l’enjeu existentiel que représente l’évolution du climat. Désormais, tous, y compris les plus privilégiés que nous sommes dans un pays comme la France, avons pu constater de façon concrète les effets du bouleversement en cours.

Par ailleurs l’actualité liée à la sortir de la crise Covid et à la guerre en Ukraine, en mettant les questions d’approvisionnement énergétique au premier plan, est venu renforcer le débat sur l’urgence à sortir des énergies fossiles pour amorcer une transition énergétique.

Dans ce contexte les politiques affichent des discours plus offensifs sur ces thématiques, parfois dans une grande confusion entre sujets anecdotiques – « éteignez votre wifi »-,  déclarations  ridicules – le col roulé de Bruno Le Maire - et débats structurels – comme la place du nucléaire dans le mix énergétique ou la rénovation thermique des bâtiments.

Mais, quel que soit le thème traité il l’est sous un angle qui nous sommes fondamentalement erroné, et qui, à ce titre, ne pourra conduire qu’à de grandes désillusions. En effet le dérèglement climatique est  abordé comme une cause - il provoque tous ces évènements violents, dangereux voire catastrophiques – dont il faut à la fois traiter les effets et diminuer l’ampleur, et c’est cela qui doit focaliser notre attention et nos actions.  Or il nous semble que cette approche relève d’une grave erreur d’appréciation car le dérèglement climatique est non pas une cause mais une conséquence. En l’occurrence il est la conséquence du capitalocène, c’est-à-dire d’une organisation techno-économique spécifique de nos sociétés. En refusant de remonter la chaîne des causalités et de trouver la cause racine de nos maux nous nous refusons à voir la réalité en face et nous condamnons ainsi à échouer. Bien sûr un certain nombre d’observateurs – scientifiques, membres d’association, simples citoyens, plus rarement politiques…- ont bien compris cette problématique mais elle n’est jamais abordée frontalement dans les médias et/ou par des gouvernants.

Concrètement il faudrait admettre que nous ne pourrons éviter la catastrophe climatique qu’à la condition d’une sortie du capitalocène. La sobriété, les solutions technologiques, les engagements environnementaux des entreprises et des particuliers, cela ne suffira pas tant que nous continuerons à nous organiser sous le régime du capitalocène, c’est-à-dire un régime où la production, la consommation et l’accumulation sont les objectifs principaux poursuivis par l’ensemble des agents économiques. Evidemment sortir du capitalocène est une tâche d’une ampleur immense, qui supposerait une révolution dans nos modes de vie, mais qui sera impossible à réaliser a fortiori si elle n’est pas clairement identifiée.

Un bon exemple de cette confusion entre les causes et les conséquences est celui de l’électrification du parc automobile. Pour simplifier il est désormais admis qu’au bout d’un certain nombre d’années d’utilisation, sur l’ensemble de son cycle de vie – les gains exacts dépendent notamment des modes de production de l’éléctricité, qui sont plus ou moins carbonés en fonction des pays – le bilan carbone d’une voiture électrique est « meilleure » que celui d’une voiture thermique (notons au passage que la production d’une voiture électrique a elle un bilan défavorable en comparaison de celui d’une voiture thermique ce qui va poser un problème majeur pour initialiser le parc de façon massive !, et nous n’aborderons pas ici le problème de la disponibilité d’un certain nombre de métaux nécessaires pour fabriquer les batteries ni le bilan carbone bien moins satisfaisant des voitures hybride rechargeables). Ce raisonnement a poussé d’une part les états à créer des incitations massives, représentant plusieurs milliers d’euros par véhicule, à l’achat de voitures électriques ou hybrides et d’autre part à prévoir l’interdiction des voitures thermiques à un horizon d’une dizaine d’années comme l’a fait l’Union Européenne. Les sommes en jeu sont colossales ; pour la France, qui a inscrit cet objectif d’électrification dans la Loi d’orientation sur les Mobilités votée en 2019 cela représente une dizaine de milliards par an à l’horizon 2030.  Or si à terme la conversion partielle ou totale du parc automobile à l’électrique sera positive d’un point de vue du bilan carbone, elle n’aura fait que pérenniser des modes d’organisation spatiaux et sociaux dont on sait qu’ils contribuent au dérèglement climatique. On aura traité les conséquences du dérèglement mais pas ses causes.

Ici concrètement traiter les causes aurait consisté à imposer, et à faire respecter, des normes très contraignantes pour la production de voitures thermiques dès maintenant et à développer des plans massifs de transports publics notamment dans les zones rurales ou péri-urbaines où la voiture est souvent indispensable. Pour situer les enjeux et les ordres de grandeur, il faut savoir qu’un trajet en bus est deux fois plus performant pour les émissions de C02 qu’un trajet en voiture et un trajet en train l’est 10 fois plus ! Par exemple avec un milliard d’euros on peut acheter 4500 bus, ou 100 rames de TER et l’Etat va consacrer 2,5 milliards d’euros pour la rénovation énergétique en 2023 soit moins que son soutien à l’électrification du parc automobile pour cette année là. Mais évidemment une telle politique supposerait d’arrêter le soutien massif à l’industrie automobile (8 milliards d’euros en 2020 en période Covid) et à envisager une reconversion complète de la filière avec comme objectif de diminuer drastiquement la taille du parc automobile.

L’exemple de l’industrie automobile est un exemple parmi d’autres, où il nous faudrait faire de façon complètement différente et faire moins. En somme cela impliquerait d’acter un changement complet de paradigme et de tenir un discours de clarté en indiquant qu’il s’agit bien de changer de monde, en s’attaquant aux causes et pas seulement aux conséquences de son effondrement, afin d’espérer que nous puissions encore l’habiter.

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