Un vote enfin utile



La récente victoire de Donald Trump a remis à l’ordre du jour la question des modalités du vote démocratique. Dans les cas de l’élection américaine, Hillary Clinton a obtenu 2.9 millions de votes de plus que son rival et elle a pourtant perdu en raison des règles spécifiques de l’élection présidentielle aux Etats-Unis liées au système des grands électeurs – je ne reviendrai pas sur ces  questions qui ont fait l’objet de nombreux articles comme celui-ci. Par ailleurs Trump n’a obtenu que 45.95% des voix et ce avec un faible taux de participation de 54.12%. Donald Trump a donc été élu avec moins de 25% des voix du collège électoral ! Dans ce contexte le citoyen américain peut se sentir floué et considérer que le système est totalement dysfonctionnel et il aura raison.
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Dès lors  on voit bien que la question du vote et de sa mécanique est fondamentale : aussi comment pouvons-nous, dans le contexte français, rendre le vote à nouveau pertinent et signifiant et ainsi remobiliser les citoyens ?
On avancera ici plusieurs pistes dont certaines pourront paraître iconoclastes.
Rendre le vote obligatoire
Election après élection le personnel politique, les journalistes et les commentateurs se lamentent en constatant la faible participation aux élections et son lent déclin. Mais pourquoi s’étonner de la désaffection des électeurs si ceux-ci ont l’impression que leur vote ne sert à rien et/ou que leurs représentants feront le contraire de ceux qu’ils ont dit ? Pourquoi s’étonner de la désaffection des électeurs s’ils ont l’impression que les politiques conduites ne changent rien à leur quotidien et que finalement tous les gouvernants et tous les élus font la même chose ? En outre dans nos démocraties « avancées » - et les guillemets sont bien utiles -, le vote a été banalisé, il va de soi, c’est une commodité.
Les citoyens ont oublié à quel point le vote n’est pas une chose naturelle, qu’il a été conquis de haute lutte et que certaines composantes de la société n’ont acquis ce droit que très récemment – rappelons que les femmes ne peuvent voter en France que depuis 1944 !. Il suffit  pourtant de voir autour de nous le nombre de peuples qui aspirent à pouvoir voter librement pour mesurer l’importance de ce bien précieux, de même qu’il suffit de se rappeler certains votes où chaque voix avait une importance capitale en raison des faibles écarts pour se rendre compte du pouvoir du vote. Voter compte !
Résultat de recherche d'images pour "vote"Il existe une mesure simple pour remédier à ce problème d’abstention : rendre le vote obligatoire. Cela existe déjà dans d’autres pays comme la Belgique ou l’Australie. En outre, l’objectif  est de faire prendre conscience aux électeurs de l’importance du vote puisqu’il est rendu obligatoire, et que tout manquement à ce devoir de vote entraînerait une sanction, en général une amende – on ne mettra évidemment pas les gens en prison s’ils ne votent pas.
Mécaniquement la participation aux élections serait plus forte rendant ainsi beaucoup plus légitimes ceux qui seraient élus. De plus rendre le vote obligatoire pousserait les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales ce qui éviterait la sous-représentation chronique de cette catégorie de l’électorat.
Si le vote est rendu obligatoire il faut aussi admettre que l’électeur puisse exprimer l’inadéquation des choix qui lui sont proposés avec ses aspirations, et dès lors le vote blanc doit être comptabilisé. Cela a aussi un effet vertueux puisque le vote blanc est un signe fort, tangible, mesurable, qui est envoyé à ceux qui se présentent au suffrage pour leur signifier qu’ils ne répondent pas à ce que souhaitent les citoyens.
Le couple vote obligatoire et comptabilisation du vote blanc rend dès lors les résultats des élections plus significatifs et reflète plus fidèlement la réalité des choix du corps électoral.
Tous les votes comptent
Voter c’est bien mais si mon vote ne sert à rien, c’est-à-dire qu’il n’a pas d’effet, n’est pas réellement pris en compte, cela entraîne déception, puis désaffection puis indifférence. Dans le système français le système des élections législatives est de ce point de vue très frustrant. Rappelons qu’il s’agit d’un scrutin uninominal majoritaire à deux tours, sur la base d’un découpage électoral de 577 circonscriptions (Chaque électeur dispose d'une voix : au premier tour de scrutin, un candidat doit pour être élu recueillir la majorité absolue des suffrages exprimés représentant au moins 25 % des électeurs inscrits. Si aucun candidat n'est élu, un second tour a lieu auquel peuvent se présenter les candidats ayant obtenu un nombre de suffrages égal à au moins 12,5 % des électeurs inscrits ou, si un seul candidat ou aucun candidat ne remplit cette condition, les deux candidats ayant obtenu le plus de voix au premier tour - en revanche, si plusieurs candidats remplissent cette condition, trois ou plus candidats peuvent se présenter au second tour. Source Wikipedia).
Si ce système permet de dégager des majorités, c’est son principal atout,  il ne permet pas d’assurer une représentation juste des citoyens car de nombreux partis et donc de nombreux français ne sont pas représentés. Dans un cas extrême où deux partis uniquement seraient en concurrence un parti arrivant en tête avec 1 voix d’avance dans chaque circonscription aurait 100% des sièges à l’Assemblée Nationale et l’autre parti zéro !  Si on prend un exemples concret le FN avec 13.6% des voix au premier tour aux élections législatives de 2012 n’a eu que deux élus au final, ce qui n’est pas normal, quoiqu’on pense de ce parti.
La façon simple de pallier ce problème est d’introduire une dose de proportionnelle ; cela permet de mieux représenter le corps électoral tout en évitant une fragmentation trop forte de la représentation nationale conduisant à l’impossibilité de dégager des majorités stables. La question du dosage de la proportionnelle est récurrente et les spécialistes peuvent longuement débattre du sujet. On peut penser qu’une « dose » de l’ordre 20% est un chiffre raisonnable et nos simulations pour 2012 sont basées sur cette hypothèse.
Ainsi si on gardait 577 circonscriptions, on pourrait imaginer que 116 sièges supplémentaires (20% de 577 ou 16.7% de 693) seraient attribués à la proportionnelle, soit un total de 693 sièges (577 +116) et une majorité qui s’établirait à 347 sièges. Prenons donc l’exemple concret des élections de 2012 : nos 116 sièges supplémentaires auraient été affectés de la façon suivante (j’ai  enlevé les décimales et les résultats des plus petits partis, le total n’est donc pas égal à 116, résultats basés sur le % obtenus par les partis au premier tour, source page Wikipédia consacrée aux Elections législatives de 2012) :
Parti                              Sièges obtenus à la proportionnelle
Parti Socialiste
34
EE Les Verts
6
Divers gauche
3
Parti radical de Gauche
2
UMP
31
Divers Droite
4
Nouveau Centre
2
Parti Radical
1
Alliance centriste
1
FN
16
Front de Gauche
8
Centre pour la France
2
Extrême gauche
1
Ecologistes
1

On constate que le PS aurait obtenu 34 sièges supplémentaires, l’UMP 31 et le FN 16. Au total le PS seul aurait eu 314 sièges au lieu de 280 ce qui ne lui aurait pas permis d’obtenir une majorité absolue, mais cela était déjà le cas dans la réalité. Mais cette majorité absolue aurait été facilement atteinte avec différentes alliances comme PS + Divers Gauche + Parti radical de Gauche ou encore PS + Divers Gauche + EELV…
Résultat de recherche d'images pour "elections"On voit donc qu’avec ces nouvelles règles on assure une bien meilleure représentation des français puisque de nouveaux partis obtiennent des députés (Front National) et d’autres voient leur nombre d’élus augmenter sensiblement (par exemple le Front de Gauche passerait de 10 à 18 élus).
En même temps le système permet toujours de former facilement des majorités de gouvernement, car la logique dominante du scrutin reste celle d’un scrutin majoritaire. Ainsi chaque français pourrait constater que son vote a été pris en compte.
Et si les voix des seniors comptaient moins ?
On constate de plus en plus une surreprésentation du vote des « seniors » (voir aussi le tableau 3 du fichier excel.) Ils sont plus mobilisés que les autres catégories d’âge comme le montre par exemple la Primaire de la Droite et du Centre organisée récemment (35% des votants avaient plus de 65 ans !).  De même en 2007 c’est le vote des plus de 60 ans qui avait permis l’élection de Nicolas Sarkozy.
De plus la catégorie des seniors représente de plus en plus de monde : en 2030 ils constitueront 30% de la population en France. Avec ce double effet (augmentation des effectifs de la catégorie et surreprésentation dans les votants), le seniors détermineront de plus en  plus les résultats des élections et donc la nature des politiques conduites.
Or, par définition, les seniors ont une espérance de vie moindre que celle des autres catégories de la population ; avec ce phénomène de « survote » ils vont paradoxalement décider pour une majorité de leurs concitoyens, tout en étant ceux qui en subiront le moins dans le temps les effets des choix qu’ils vont privilégier.
Par ailleurs les préoccupations des seniors (évidement tous les seniors ne raisonnent pas ainsi et j’aborde ici ce thème de façon globale), qui sont pour une part importante des retraités, sont tournés vers des sujets bien spécifiques : les questions de santé, la garantie de leurs revenus, notamment leurs pensions, et la fiscalité, principalement celle du patrimoine. Les seniors, et c’est humain, votent en fonction de leurs intérêts, et sont avant tout dans une logique de protection (protection de leurs actifs et de leurs droits) et non pas dans une logique de changement et/ou de rupture. De même ils sont moins sensibles à  la nouveauté et/ou problématiques de long terme. Pour le dire autrement ils sont tournés vers le passé et leur vote est majoritairement conservateur.
Dès lors nous proposons une réforme radicale : à partir d’un certain âge (55 ans ? 60 ans ?) le vote est pondéré. Prenons l’exemple d’un vote pondéré à partir de 60 ans. A partir de 61 ans mon vote ne vaut plus un vote plein mais par exemple 95% d’un vote, et ce pourcentage baisse par paliers jusqu’à un plancher de 50%, par exemple à 80 ans. Une autre variante plus simple pourrait être : de 60 à 70 ans le vote vaut 0.8, de 70 à 80 ans 0.6 et au-delà de 80 ans 0.4.
L’idée ici est de faire en sorte que le vote de ceux pour lesquels les politiques mises en œuvre vont avoir le plus d’incidence aient une voix qui porte plus, et à l’inverse ceux qui sont moins concernés – je pense notamment aux sujets qui engagent pour un futur plus lointain comme les enjeux de lutte contre le réchauffement climatique, ou aux sujets qui ne concernent plus les seniors que marginalement comme la durée du travail - verront leur poids électoral relatif diminuer.
On me dira que je déroge ici au principe « un homme (ou une femme), une voix », mais ce n’est pas vrai car par construction tous ceux qui deviendront seniors auront été plus jeunes auparavant et leur voix aura compté à plein. Sur la durée d’une vie tout le monde aura été logé à la même enseigne.
D’autres pistes peuvent exister pour éviter cette gérontocratie, comme l’abaissement de l’âge du droit de vote, ou une surpondération du vote des plus jeunes. Dans tous les cas  il s’agit bien d‘éviter que le résultat du vote soit essentiellement déterminé par les plus âgés, conduisant à la mise en œuvre de politiques peu dynamiques.
Vote obligatoire, comptabilisation du vote blanc, introduction de la proportionnelle et sous pondération du vote des seniors, voilà autant de pistes qui sont, nous semble-t-il de nature à redonner une sens plein et entier au vote, et faire ainsi en sorte que les citoyens se sentent à nouveau pleinement citoyens.

Commentaires

  1. Bonjour,
    Idées intéressantes, même si je ne partage pas l'idée d'une pondération par rapport à l'âge des votants. L'effet "vote des personnes âgées" serait de lui-même moins flagrant si le vote était rendu obligatoire. Et le fait qu'ils aient parfois combattu, cotisé et dans tous les cas participé à la vie du pays toutes ces années leur vaut je pense d'avoir le même poids électoral qu'un jeune qui est parfois au moins aussi influençable et qui a les mêmes biais de vote (intérêts pour les candidats qui proposeront le plus de bourses, logements étudiants, mesures pour un premier emploi, etc.).

    Si pondération il devait y avoir, je pense qu'il serait plus intéressant de rétablir une forme de suffrage censitaire : le vote de ceux qui ne paient pas d'impôt sur le revenu serait minoré (0.5 ou 0.75, par exemple). De ce fait, il s'agirait de valoriser le poids de ceux qui participent plus activement au financement du budget de l'Etat. Par ricochet, les populations les plus jeunes ou les plus âgées verraient (a priori) mécaniquement leur poids diminuer, mais avec la perspective pour ceux qui ne sont pas actuellement dans cette catégorie de pouvoir y entrer à divers moments de leur vie, tout en ayant toujours la possiblité de se faire entendre. Et d'offrir une forme de "contrepartie", même si le terme est mal choisi, pour ceux qui considèrent qu'ils "paient pour les autres". Avec à terme l'idée également de favoriser l'élargissement de l'assiette de l'impôt sur le revenu pour diminuer les "nouvelles inégalités électorales", pourquoi pas...

    Idem pour la proportionnelle pour les législatives. Je ne suis pas contre l'idée, mais je trouve qu'elle conserve trop de limites.
    S'agissant d'une représentation nationale, je ne comprends pas le fait qu'elle soit toujours liée à une circonscription locale, ce qui induit de vrais biais : par exemple, la voix d'un électeur de St Pierre et Miquelon qui élit son député, vaut autant que 24 électeurs de Normandie (https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_circonscriptions_l%C3%A9gislatives_de_la_France).
    Sur ce sujet, je préconiserait plutôt le mode de scrutin qui s'applique aux municipales : une liste nationale par parti souhaitant se présenter, scrutin à deux tours, non prise en compte des listes représentant moins de 5% et 10% des suffrages exprimés, et prime de 25% de sièges à la liste majoritaire.

    De cette façon : pas d'émiettement trop important des voix, bonne représentation du poids des partis (même pour un petit parti, qui aura l'occasion de se jauger en ayant sa chance), possibilités de fusions (transparentes) des listes entre les deux tours, grosse prime au sortant avec quasi-garantie de pouvoir gouverner (ou en tout cas d'être en vraie position de force, malgré la proportionnelle)... Et limitation du poids d'éventuels clientélismes locaux.

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    Réponses
    1. Merci pour votre commentaire.
      Sur la proportionnelle : les modalités peuvent être discutées mais je crois que nous pouvons être d'accord sur le principe.
      Sur les seniors: oui le vote obligatoire réglera une partie de la question mais leur poids électoral sera croissant en raison de la démographie.
      Sur le vote censitaire: philosophiquement cela me paraît inacceptable car cela revient à dire que certains hommes valent plus que d'autres. De façon pratique que faîtes-vous des gens qui ne pourrons jamais gagner leur vie correctement, par exemple en raison d'un handicap ? que faîtes-vous de ceux qui feront des études très longues et qui, de facto, seraient exclus du vote ?
      Cordialement

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