Début de partie




géopolitique, festival de géopolitiqueL’épidémie de coronavirus a souligné avec encore plus d‘acuité les maux dont souffrent nos sociétés et les grandes recompositions géopolitiques qui sont à l’œuvre.  A notre sens on peut en tirer quelques leçons qu’on présentera ici sous forme de grandes tendances.
-        Pendant la crise épidémique le modèle économique dominant – que j’appelle Captalisme – a montré encore plus à quel point il était dysfonctionnel : prise de conscience de l’importance des premiers de corvée, mise en évidence aigu des bullshit jobs avec le confinement, appels patronaux à l’État pour soutenir massivement les entreprises – ce sont les mêmes qui  en disent habituellement le plus grand mal -, compréhension immédiate du lien entre activité économique et problèmes environnementaux et climatiques, coup de projecteur sur les inégalités économiques, spatiales, générationnelles… Dans le même temps pour éviter un désastre économique et social on a– et heureusement – injecté des quantités phénoménales d’argent dans le circuit mais sans envisager un financement autrement que par la dette. Il est donc prévisible que des politiques d’austérité seront mises en place dans le futur pour « rembourser », contribuant à nouveau à l’accroissement des inégalités et à la paupérisation d’une grande partie de la population. Crest l’habituelle « stratégie du choc », mâtinée d’appels surréalistes à « travailler plus pour gagner moins », dans un contexte où la demande est durablement déprimée ! Le monde d’après ne semble pas très différent de celui qui existait…
-        Les États-Unis, en tant que nation, ont montré qu’ils avaient clairement perdu leur prééminence mondiale. La présidence Trump est un fiasco sur le plan « moral », rendant toute référence au leadership américain en matière de « démocratie » tout à fait vaine, voire risible, et par extension affaiblissant considérablement le soft power américain. Par ailleurs la gestion de la crise Covid19, avec des résultats tout à fait médiocres, ne permet pas aux USA de se prévaloir d’une quelconque supériorité de leur modèle, tant sur le plan sanitaire que sur le plan économique.
-        Le déclin des États-Unis en tant que nation, s’accompagne de la montée au zénith d’un oligopole qu’on désigne habituellement sous l’acronyme de GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft). Ces cinq  sociétés – dont les sièges sociaux sont tous situés sur la côte Ouest des États-Unis –  représentent à elles seules plus de 3 fois la capitalisation boursière du CAC 40, et plus de 20% de l’indice S&P 500 qui regroupe les 500 plus grands groupes côtés américains. Ces chiffres disent le poids qu’elles ont acquis et la puissance financière qui est la leur (on lira avec grand intérêt l’article de Philippe Fabry, qui fait un parallèle très stimulant entre les GAFAM et les latifundiae de la Rome Antique). Le confinement a révélé combien nos sociétés étaient désormais dépendantes de ces entreprises – fonctions de communication, applications de toutes sortes, services de divertissement… - notamment avec Amazon comme champion mondial de la livraison pour nos foyers en mode autarcique. On peut considérer que le complexe militaro-industriel américain, très imbriqué avec l’État fédéral et fer de lance de sa politique internationale et de son rayonnement, a été en grande partie remplacé par un trust numérique comme vecteur d’une terra americana.  Ce trust, pour une large part, est indépendant du pouvoir politique et peut même s’y opposer. Il défend ses intérêts avant tout. Sous le double effet du déclin de leurs institutions démocratiques et de la domination de ces entreprises, les États-Unis ont dès lors (définitivement ?) basculé en ploutocratie.
-        La Chine, qui affirme sans fard sa volonté de puissance depuis les Jeux de Pékin de 2008, se retrouve dans une situation difficile tant interne qu’externe. L’épidémie de coronavirus a démarré chez elle, et sa communication sur le sujet a manifestement été lacunaire, voire mensongère, et ce ne sont pas les distributions de masques à l’étranger qui vont significativement améliorer son image. Le ralentissement économique va durement se faire sentir avec la première récession depuis 40 ans !, rendant plus difficile le contrôle d’une population, qui avait globalement accepté de mettre en parenthèse sa liberté contre la promesse de la prospérité économique. On peut donc penser que le régime, sous la poigne de fer de Xi Jinping, va se raidir et jouer sur la corde nationaliste pour « tenir » la société chinoise. Dans ce contexte la Chine va sans doute accélérer ses initiatives pour s’affranchir des États-Unis sur le plan technologique et devenir complètement autonome en la matière (le lancement très précoce de la 5G en Chine, avec Huawei champion national,  en est un bon exemple). L’Empire du Milieu a d’ailleurs été d’une grande intelligence en créant son propre écosystème numérique – qu’on appelle parfois BATX – totalement indépendant de celui des GAFAM et parfois même concurrent, ce qui lui permet de se projeter sur tout l’Asie avec ses propres solutions,
-        L’Europe se trouve à la croisée des chemins ; elle a été durement touchée par l’épidémie et la crise économique va être terrible. Elle se rend compte de sa dépendance, à l’oligopole numérique américain d’une part, et à l’atelier chinois pour une quantité incroyable de biens manufacturés, d’autre part. Elle se rend compte de l’absence de solidarité entre ses membres, avec chaque pays qui a joué sa partition en solo (fermeture des frontières non coordonnées, politiques de recherche sur un traitement ou un médicament non concertées, mesure de soutien à l’activité chacun dans on coin..). Elle se rend compte de visions divergentes sur sa gouvernance avec notamment l’incroyable épisode de l’arrêt de la Cour Fédérale de Karlsruhe sur la politique de la BCE. Elle se rend compte que si elle continue ainsi elle sera balayée de scène de l’Histoire pour être reléguée dans le coulisses, à espérer que ceux qui décideront de son destin seront cléments. Son seul salut réside sans doute dans l’invention d’un modèle original, qui repense complètement les bases de fonctionnement de ses économies et de ses sociétés.

On conclura ici en affirmant que l’épidémie de coronavirus est incontestablement, après les attentats du 11 septembre et la catastrophe de Fukushima, le troisième évènement marquant de ce siècle. Il met à nu les rouages d’un système à bout de souffle. Il est donc temps d’y mettre fin, et d’imaginer d’autres futurs, d’autres débuts de parties. Mais cela est une autre histoire.

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