Le PS n'est pas social-libéral, il est « sociétal-libéral » (et c'est pire)

Ascenseur pour l'échafaud

Le Parti Socialiste attend les élections régionales avec inquiétude. Les attentes oscillent entre la défaite sérieuse, au mieux, et la claque magistrale avec la perte éventuelle de la région Nord au profit du FN, au pire.

Alors dans un  réflexe pavlovien on assiste à une mobilisation générale avec Premier Ministre et Président de la République embarqués dans une campagne de terrain, et discours mêlant appels au sursaut républicain ou utilisation de l’habituelle rengaine « avec les autres cela sera bien pire ».

Maintenant au delà de l’écume de la campagne, qu’est-ce qui a conduit le PS dans cette situation ? Il nous semble que la réponse est tellement simple qu’elle n’est jamais abordée de façon frontale, et la voici : le PS tel qu’il est incarné par ses dirigeants dans la France de 2015 n’est plus un parti de gauche, c’est un étrange hybride mêlant orthodoxie économique et progressisme sur les questions sociétales. Le Parti Socialiste en étant ailleurs a pris le risque de n’être nulle part.

Troisième voie ou voie sans issue ?

Concrètement le PS, aujourd’hui, vit sa pratique du pouvoir en la décrivant comme celle d’un parti social-libéral.  Une définition simple décrit le social-libéralisme ainsi : « une doctrine politique qui cherche à concilier les principes du socialisme ou de la social-démocratie avec ceux du libéralisme ». 

A la lecture de ces quelques lignes on se rend compte de la difficulté à vraiment cerner ce que pourrait être une politique sociale-libérale, mais on pourrait essayer en disant que dans ce nouveau paradigme politique la réduction des inégalités – objectif central des politiques socialistes dans une logique de justice sociale - passe d’abord par la création de richesses plutôt que par des mécanismes de redistribution. Il ne faut donc pas désespérer Billancourt mais Billancourt attendra.

En Europe ceux qui ont incarné cette politique de façon emblématique sont Tony Blair en Angleterre et Gerhard Schröder en Allemagne. Aujourd’hui avec une dizaine d’années de retard sur ces pays le PS « exécutif » s’est rallié à cette vision. Le problème est que le PS semble n’avoir retenu de « social-libéralisme » que le deuxième terme.  Le gouvernement actuel mène une politique bien plus libérale que ses prédécesseurs de droite, rejouant un grand classique de la politique française : la gauche une fois au pouvoir agit comme un gouvernement de droite sur le plan économique. Pour simplifier, aujourd’hui, le monde économique et des entreprises est largement privilégié par rapport aux salariés et aux ménages dans le mix politique du gouvernement. Billancourt désormais c’est Neuilly. Les exemples sont nombreux  de cette politique « pro-business » et les lois Macron en sont des exemples récents et emblématiques.

Où le progrès change de signification

Dès lors le PS a un problème : s’il mène une politique de droite, puisque la dimension sociale de sa politique est absente, comment faire semblant d’être quand même de gauche ? En effet le PS a encore besoin des électeurs de gauche pour gagner des élections… Et là le PS a trouvé sa martingale, ou plutôt croit avoir trouvé sa martingale : faisons du « sociétal ». Si l’on regarde la définition du Larousse le sociétal c’est « ce qui se rapporte aux divers aspects de la vie sociale des individus, en ce qu'ils constituent une société organisée. » Plus concrètement le sociétal c’est ce qui traite de questions comme le racisme, le sexisme, l’homophobie, ou encore la fin de vie. Le sociétal renvoie en cela à des questions qui ont trait à des valeurs, des comportements, des normes éthiques.  Et ici le PS a choisi de continuer à être un parti progressiste, à assumer une vision de gauche ; à ce titre la réforme emblématique du quinquennat de François Hollande reste à ce jour le « mariage pour tous ». Le parti socialiste qui se  dit social-libéral est en réalité « sociétal-libéral », et ce n’est pas du tout la même chose.

Or, une grande partie de l’électorat traditionnel du PS est beaucoup moins progressiste sur les questions sociétales que le PS le croit ou l’espère. Une des raisons en est que les clivages sur les questions sociétales sont beaucoup plus fluides que sur les questions sociales ; le sociétal renvoie à un vécu intime, à l’expérience de vie, et devient donc beaucoup plus difficile à figer.

Si une partie de l’électorat traditionnel du PS pouvait voter pour lui en raison des politique sociales qui étaient menées – on revient à la défense de Billancourt, et accepter en passant des mesures sociétales qui n’étaient pas forcément perçues comme importantes, voire avec lesquelles il était en désaccord – on peut penser à l’abolition de la peine de mort sous Mitterrand, ce même électorat ne peut accepter de continue à voter pour le PS alors que ce qui est fondamental pour lui, le social, n’est pas traité. En somme « j’accepte » la dimension sociétale mais uniquement si la dimension sociale est traitée.

Un virage théorisé

Ainsi le PS fait ici une étrange erreur d’analyse : en menant une politique sociétale-libérale, il peut espérer attirer d’anciens électeurs de droite en raison du volet économique, mais il prend surtout le risque de perdre de gros bataillons d’électeurs de gauche. Au final il est perdant*.

Ces électeurs de gauche perdus vont soit s’abstenir, soit voter pour le parti qui a adopté une posture « anti sociétale » notamment sur les questions d’immigration et de pseudo positions sociales sur les questions économiques : j’ai nommé le FN. La politique sociétale-libérale est dès lors une formidable aubaine pour le FN, elle pousse vers lui des électeurs qui avant votaient PS.

Ainsi le PS français, comme la plupart de ses homologues européens, en renonçant à traiter frontalement les questions économiques et sociales et en croyant que le sociétal servirait de substitut,  a perdu une incroyable bataille idéologique et de nombreux combats électoraux. Un universitaire américain, Walter Benn Michaels,  – j’y reviendrai dans un autre post – a fait une analyse remarquable de cette situation dans un livre intitulé La diversité contre l'égalité, (Ed Raisons d'agir, 2009).

Au delà de la situation électorale très compliquée dans laquelle cette stratégie place le PS, ce positionnement sociétal-libéral rend la possibilité d’une politique de gauche moderne quasiment impossible.  Il rend très compliqué en effet un vrai débat sur la politique économique et sociale puisque le PS fait la politique de ses adversaires !

Pour à nouveau créer du clivage gauche/droite totalement pertinent il faudrait donc imaginer ce que serait un parti sociétal-social ; tiens c’est une des choses auxquelles nous espérons pouvons contribuer !

* Cette étrange stratégie perdante a même été théorisée par le Think Tank du PS,  Terra Nova
* On pourrait m’opposer la victoire du François Hollande en 2012 comme démonstration d’une réussite de cette stratégie du PS. Or la victoire de F Hollande est avant tout une défaite de Sarkozy, elle a donc un terrible effet masquant.

Chem Asssayag, Paris, 08/11/2015

Commentaires

  1. Dire que le PS est sociétal-libéral (si seulement!) est justement le pb du PS: le mollétisme (http://tempsreel.nouvelobs.com/laurent-joffrin/20111011.OBS2185/primaire-ps-le-retour-du-molletisme.html) pour tenter d'accrocher la gauche de la gauche stal-rétro. Le pb est simplement qu'il n'a pas le discours de sa pratique et qu'il fait dans le vintage dogmatique.

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  2. 100% d'accord avec ce billet. D'ailleurs dans le cas d'un match Juppé / Hollande en 2017, la question serait : "vous préférez l'original ou la copie ?".

    Sarkozy vainqueur aux primaires sera la meilleure chance de Hollande.

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    1. En fait, Hollande est la meilleure chance de Sarkozy est vice-versa. Chacun jouant l'autre n°3 avec MLP en finale. C'est assez pathétique.
      Un match Juppé/Hollande donnerait, AMHA, Juppé président. Sur le plan économique, il n'a que peu de différence avec Hollande. Sur le plan sociétal non plus (d'ailleurs il se démarque notamment de Sarkozy avec ça ... une forme de gaullisme humaniste et social dirons nous). Mais l'avantage de Juppé sera ... de n'avoir jamais été président ... malgré son âge, ils est moins usé (95 c'est loin). Son âge sera à double-tranchant (plus sage, on le croit plus sur le fait qu'il ne fera qu'un mandat) mais envie de jeunesse

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  3. Il est vraiment dommage que vous ayez une image plus que fausse du libéralisme. Le libéralisme que vous décrivez, c'est celui de la connivence, lorsque certaines entreprises (ou secteurs d'activité) arrivent à une position dominantes et cherchent à la garder en créant des barrières à l'entrée, avec l'appui des pouvoirs en place. Le libéralisme, pour mémoire, n'a JAMAIS été expérimenté en France (et très peu ailleurs, y compris aux USA), qui est historiquement un pays centralisateur et collectiviste. Un véritable libéralisme, c'est avant toute chose la LIBERTE !!! Liberté de choix, de propriété, de protection, de prise en charge. C'est la possibilité d'innover, de créer, et d'assumer ses erreurs sans la faire prendre en charge par le reste de la société. Dans une véritable société libérale, l'Etat ou ce qui s'en rapproche le plus n'a pas un rôle moteur, il est simplement responsable du régalien, de faire respecter le droit à la propriété et intervenir en toute dernière extrémité en tant qu'arbitre impartial en cas d'excès de certains acteurs du marché.

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    1. De mon point de vue, effectivement, l'appellation "social-libéral" est fausse dans le sens où effectivement la France est l'opposé d'un pays libéral. Sarkozy n'a pas été plus libéral que Chirac ou Hollande. Et économiquement, depuis la crise, les USA ont largement été keynesiens. Je pense que Chem ne fait que reprendre (c'est mon avis, je lui laisserai exprimer sa pensée) le terme que tout le monde utilise. In fine, le mot libéral a une signification qui n'est plus la signification originelle. Au mieux, il se traduit en "politique de l'offre vs politique de la demande", au pire dans un "j'aide les riches et je me fous des pauvres". Ce que le libéralisme n'est pas originellement.

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    2. Comme le dit Nicolas d'une part j'utilise le vocable traditionnel du champ politique; d'autre part votre commentaire me fait penser à ceux qui nous disent à propos du communisme "le communisme en URSS - ou ailleurs - ce n'était pas vraiment le communisme", vous vous "dîtes le "vrai libéralisme ce n'est pas le libéralisme en France ou aux USA". Alors oui en théorie le libéralisme c'est peut être très bien mais dans la réalité ça (ce que vous qualifieriez sans doute de faux libéralisme) donne les sociétés dans lesquelles nous vivons. Cdt.

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  4. Il n'y a pas plus libéral que l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme : la liberté, la propriété, la sûreté, la résistance à l'oppression."
    Et en ce qui concerne l'égalité, elle ne concernait que l'égalité devant l'impôt et devant la loi, pas une quelconque uniformisation comme on cherche à nous l'imposer depuis 30 ans avec des idées socialo-bobos.

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    1. avec l'éminence grise du PS d'aujourd'hui, et si c'était Jack Lang ? (joke mais ...). La gauche parisienne est finalement la caricature de ce que décrit Chem. Les socialos-bobos comme tu dis sont en osmose avec la gentryfication (d'où c'est devenu un bastion de gauche), la plèbe étant reléguée à pataouchnok à 40' de RER.

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  5. Perso, je suis un peu déçu par cet article:
    Qui s'intéresse encore à la stratégie politique du PS?
    Je veux dire à part BFM TV?

    Bon ok, j'avoue, je suis un peu dur pour un 3ème article.
    Je continuerai à lire quand même :)

    Non mais je veux dire, question sérieuse: tu en attends vraiment quelque chose des partis politiques?

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    1. @Steph: non je n'en attends pas grand chose...justement je fais le constat qu'il y a un espace politique aujourd’hui inoccupé. Cdt...

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    2. Ben Stef, le fait est que l'on peut se dire que l'on peut changer (même un poil les choses par le bas). C'est même un des ressorts du blogging. Ceci étant, on vit en 2015 dans une France où c'est la Ve qui gouverne avec son système bi-parti qui est train de glisser vers un système tri-parti. Je n'attends pas grand chose des partis, mais au moins qu'il y air une offre qui couvre le spectre, permette à chacun de plus ou moins s'exprimer et offre des alternatives (sinon c'est le "tous pourris", la défiance, et à terme le FN)

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